jeudi 14 janvier 2016

Ping-tongue






Dans les halls d’immeubles, les cours de récré, sous les abribus ou  les auvents de taxiphone, dans ces blocs de réalité aux lignes grises mais pulsatiles, entre deux voies plus ou moins rapides, hors des stades et loin des podiums, oubliés des commentateurs télé et des palmarès de magazine, ils se livrent des batailles secrètes, des luttes sans relâche, et remportent des victoires éclatantes que personne n’applaudit, sauf les copains, qui comptent les points.



Ça se joue avec les points, d'ailleurs, avec un T à la fin et pas de doigt au bout.



On avance sur le ring avec son swag, sa tchatche, pas besoin de casquette, tu tiens ton biz ou tu le tiens pas, et dans l’espace de la joute, cercle interactif où les mots rebondissent, cage de squash qui te presse, te brusque, te contraint à un rythme toujours plus fébrile, tu sens monter en toi la réplique, qui ricoche, rebondit, prend de la vitesse, devenue projectile, celle qui va le mettre au tapis, faut pas sourire, rester concentré, l’adversaire est un peu sonné mais personne n’est à l’abri d’un coup mal placé, ippon de dernière minute. Tout est encore possible.



Tout est encore possible.

C’est bon de pouvoir se dire cela, ici.



Chouf ces petits athlètes, leur débit staccato, leur langue agile.

Ce sont les rois du style, salto avant, salto arrière, as de la cadence,  une deux une deux, qui lèvent des lames de haut fond, serviettes de plage autour du cou, à Corbières. Ça métaphore, anacoluthe, hypotypose à plein tube. Pas besoin d’avoir ouvert Dumarsais ou Fontanier pour bobiner des images comme bulles de chewing-gum. Et voilà un soleil qui éclate, parfum citron. 

Boum. 



Ce sont des flambeurs, princes de l’esbroufe, aux mots gonflés comme péninsule, la répartie en boomerang. Je balance la vanne, elle cogne, je la chope à nouveau,  la lance plus fort, plus loin.

Bam.  



Lui, il s’essouffle, bédave sûrement trop, tu vas lui faire la peau.



Ce sont des casse-cous, ils balancent les épithètes comme les mômes traversent l’échangeur d’autoroute, au plus près des pare-chocs, à la limite du corps à corps, parfois à bouffer l’haleine de l’autre en face, qui pèse cent vingt kilos. Trop de Mac Do, gros.



Après on se tapera dans le dos et peut-être un kebab.



Ils ont quinze ans. Habitent Consolat, Ruisseau Mirabeau, Picon, La Busserine, autant de noms à vos oreilles indistincts.



Ils sont invisibles.



Alors de grâce, laissons-les flamboyer encore quelques instants, quelques années, soleils plus grands que les voitures qui brûlent, petits géants du ping-tongue.

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